format entete 555

555, roman d’Hélène Gestern, a remporté le prix Charles Exbrayat, après avoir obtenu également le prix RTL/Lire magazine. Ce roman a d’abord retenu notre attention du fait de son sujet : 555, c’est le nombre de sonates de D. Scarlatti, composées pour le clavecin, et peut-être aussi, pour certaines, pour le pianoforte. 

Une 556ème sonate aurait été retrouvée, c’est le point de départ du roman, qui se distingue aussi par sa construction. Le chiffre cinq, répété, correspondant aux cinq narrateurs intervenant tour à tour, tous intéressés pour diverses raisons par la partition de cette sonate inédite : un luthier endetté, l’ébéniste qui l’a découverte, la virtuose qui aimerait être la première à la jouer, le musicologue qui voudrait l’étudier le premier, et enfin le collectionneur qui aimerait se l’approprier. Mais une autre voix, une autre narratrice dont on ignore l’identité s’exprime parfois, en spectatrice, et peut-être aussi manipulatrice, de tout ce petit monde…

Ce roman est aussi l’occasion de découvrir ou redécouvrir l’œuvre surprenante de Domenico Scarlatti. Fils de musicien (Alessandro Scarlatti), Scarlatti a une particularité peut-être unique dans l’histoire de la musique. Les grands musiciens, comme aussi bien les écrivains, les artistes, les peintres, etc. se caractérisent le plus souvent par leur capacité à saisir et devancer l’esprit de leur temps qu’ils incarnent ensuite pour la postérité, illustrant le style propre à leur époque qu’ils auront eux-mêmes contribué à créer.

Or, ce qui ressort de l’écoute des sonates de Scarlatti, c’est bien plutôt sa faculté d’échapper à son temps. Il les a composées au cours de la première moitié du XVIII° siècle, et, interprétées au clavecin, c’est d’abord le style de l’époque que l’on remarque, mais dès qu’on explore le vaste corpus des sonates et qu’on les entend sur d’autres instruments, le piano, ou encore la guitare, on réalise peu à peu que si certaines évoquent le baroque et d’autres, plus encore, le rococo, on croirait parfois avoir affaire à des œuvres de l’époque romantique, - et, bien plus, parfois même à de la musique du XX° siècle, - voire du XXI° siècle… Musicien inclassable par excellence, donc.

Ecoutez par exemple la sonate K 535 (que Pierre Hantaï n’a pas par hasard placée au début de son tout premier CD consacré à Scarlatti), ici jouée par Bertrand Cuiller au clavecin sur un instrument d’époque, le contraste entre le style de son temps et les échappées de Scarlatti vers l’avenir n’en étant que plus saisissant :

 

Les quelques éléments biographiques que l’on a permettent sinon d’expliquer du moins de mieux comprendre le contexte qui a favorisé l’éclosion d’une musique aussi inouïe. En effet, Scarlatti commence une carrière précoce à l’ombre de son père et tout à fait dans la tradition de la musique italienne de l’époque, et sa production d’alors, essentiellement de musique vocale, qui n’a été que partiellement conservée, n’aurait pas suffi à le faire passer à la postérité ou seulement comme un représentant parmi d’autres de la musique du début du XVIII° siècle. 

Mais une deuxième carrière musicale, toute différente, va commencer pour lui avec le déracinement qui l’amènera à vivre au Portugal puis en Espagne durant des décennies, tout le reste de sa vie, au service de Marie-Barbara, fille aînée du roi de Portugal, qui deviendra reine d’Espagne.

Une fois établi dans la péninsule ibérique, il se consacra alors quasi exclusivement à la musique instrumentale, en composant au fil des années le vaste ensemble de ses sonates pour le clavecin, qui se caractérisent par une incroyable inventivité mais aussi par une forte imprégnation de la musique populaire espagnole dont il a fait, en se l’appropriant et en la transformant, un élément rythmique essentiel de sa musique.

C’est pourquoi (outre la parenté entre le clavecin et la guitare) cette musique passe si bien à la guitare. Voici la sonate K 27 ici jouée par Marcos Diaz :

 

Un point commun à toutes ses sonates est leur cadre identique, binaire avec reprise de chacune des deux parties, mais à l’intérieur de ce cadre, qui reste ouvert à tous les possibles, Scarlatti déploie un art tout personnel en multipliant tous azimuts recherches et trouvailles.

Voici la sonate K 141 interprétée au piano fougueusement (le mot est faible) par Martha Argerich :

 

Scarlatti a eu toujours une place un peu à part dans l’histoire de la musique, mais a longtemps aussi été sous-évalué. Un des arguments qui est revenu à travers le temps est l’expression de réserves quant aux limites supposées de ce qu’exprimerait sa musique qui, lorsqu’elle est, comme c’est le cas le plus souvent, vive et emportée n’exprime pas cependant une joie franche et sans mélange, et, inversement, lorsqu’elle se fait songeuse et méditative, est rarement très sombre ou mélancolique.

Chaque fois que l’on a raisonné ainsi on n’a pas vu que l’exploration de nouvelles voies musicales aboutit à l’expression de sentiments complexes où se mêlent, face à la nouveauté et l’inconnu, la plus vive allégresse et une inquiétude sous-jacente.

La sonate K9, tout en étant représentative de la veine presque romantique avant la lettre de Scarlatti, en particulier dans sa seconde partie, n’en garde pas moins, toujours prête à resurgir, cette imprégnation de rythmes issus de danses et musiques populaires (au piano, par Evgenia Fölsche) :

 

On peut trouver à la médiathèque de Saint-Paul-en-Jarez actuellement plusieurs CD des sonates de Scarlatti, interprétées au clavecin  (notamment par Pierre Hantaï), au pianoforte (par Aline Sylberajch), au piano (par Alexandre Tharaud, Racha Arodaky…), ou à la guitare (par Thibault Cauvin), tous prêtés par la médiathèque départementale de la Loire, ainsi que des partitions des sonates les plus célèbres.

 

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