Lile_aux_arbres_disparus

 

Le tome 64 des Tuniques bleues, paru fin 2021 : Où est donc Arabesque ? (Dupuis) aura été le dernier signé Lambil et Cauvin ; le tome 65, L’envoyé spécial (chez le même éditeur), par Beka et Munuera, avait été, de façon inhabituelle… publié avant, en 2020 ; Raoul Cauvin, décédé en 2021, avait en effet annoncé en 2019 que son rôle de scénariste de cette série s’arrêterait avec le 64. La nouvelle version de la série à partir du tome 65, insipide, simpliste, bien-pensante, est plus que décevante, et son seul intérêt est de faire ressortir, par contraste, ce qui avait fait la qualité de cette série. Une page se tourne, même s’il est question du retour éventuel de Willy Lambil pour dessiner le tome 66, avec un nouveau scénariste.

 

Créée en 1968 par le dessinateur Louis Salvérius avec Raoul Cauvin pour scénariste, c’est dès le quatrième volume que, suite au décès de Salvérius en 1972, le dessin sera repris par Lambil, déployant alors les multiples ressources d’un graphisme efficace et adéquat qui a contribué au succès de la série.

 

La série des Tuniques bleues a plusieurs particularités remarquables et attachantes. Elle reste lue et appréciée par plusieurs générations, comme on peut le constater en médiathèque. Elle a la singularité de mêler d’une façon originale l’humour et le sérieux, la gravité et les gags. Cela s’est traduit au niveau du dessin, par le traitement souple et différencié des personnages. Si les principaux protagonistes, le sergent Chesterfield et le caporal Blutch, sont dessinés comme des personnages de cartoons, de dessin humoristique et non réaliste (les « gros nez », comme dirait Philippe Brocard), en revanche les personnages historiques qui apparaissent régulièrement dans les albums, tels le président Lincoln ou le général Grant, sont traités de façon plus réaliste.

 

Le sergent Chesterfield et le caporal Blutch, à la fois inséparables et d’humeurs totalement incompatibles, forment un duo mémorable par le contraste de leurs caractères. Cornélius Chesterfield, l’idéaliste, respectueux de l’ordre et attaché à des valeurs auxquelles il voue un culte ombrageux, et Blutch, éternel râleur et rebelle, qui ne s’en laisse pas compter. Au-delà de son caractère divertissant, cette bande dessinée se distingue aussi par sa dénonciation obstinée de la guerre. En outre différents aspects de la vie des soldats (nourriture, santé, hygiène, par exemple) y sont abordés à partir de faits divers authentiques qui se sont déroulés pendant la guerre de Sécession.

 

Cette série de bande dessinée est marquante aussi du fait qu’elle est un hymne sans égal à la pudeur des sentiments, avant tout de l’amitié et de la fraternité qui ne s’avoueront jamais, et, parfois, dans quelques albums, du sentiment amoureux.