Il n’est pas toujours facile de se retrouver dans la jungle de la rentrée littéraire. C'est pourquoi, vos bibliothécaires vous ont préparé une sélection afin de vous guider parmi les incontournables et les belles surprises du moment.
Vous avez aimé ? Vous avez détesté ? Dites-le-nous, on adore en discuter avec vous.
Les lectures de Béatrice de Rive-de-Gier
Claire Vesin Le lotissement (La Manufacture de livres)
Le roman de Laure Vesin plante le décor en 1986 à Mare-les-Champs, village pavillonnaire de la banlieue parisienne. La France est alors en plein bouleversement. Plus de trente ans après une série d’évènements tragiques, une femme revient sur les lieux de son enfance pour élucider les secrets, les non-dits. Elle va rallumer les blessures que chacun aimerait oublier.
Cette enquête intime ne nous laisse pas indifférent face à la mémoire collective et à la violence des rapports sociaux. La tension est palpable tout au long des chapitres où l’on devine petit à petit l’inévitable. Ce roman de la rentrée littéraire est passé inaperçu et pourtant, il ne faut pas passer à côté.
Fabrice Caro, Les derniers jours de l'apesanteur (Gallimard)
Comme dans le roman Le lotissement de Claire Vesin, nous sommes à la fin des années 80 en France, mais l’ambiance n’est pas la même. Le narrateur s’appelle Daniel et est en terminale. Avec ses potes Justin et Marc, ils n’en peuvent plus des cours interminables, fantasment sur des filles inaccessibles, et ont du mal à trouver leur place dans leur famille et au lycée.
L’écrivain dresse, à l’aide d’une multitude de références, le portrait de ces années qui ont marqué celles et ceux qui sont né(e)s dans les années 70.
Les derniers romans de Fabrice Caro ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissable, mais Les derniers jours de l’apesanteur est un vrai roman « doudou ». Le regard de l’auteur est drôle et la nostalgie de ces années où l’on passe de l’adolescence à l’âge adulte n’est jamais loin. Un roman qui fait du bien.
Violaine Bérot Du côté des vivants (Buchet-Chastel)
Dans la chambre 308 d’un petit hôpital de province, deux patients se rencontrent. Greg, qui a failli mourir et qui ne veut plus suivre le protocole de chimio.
Et Alphonse, un vieil homme au cœur usé qui veut en finir avec la vie. Cette chambre d’hôpital est le témoin d’instants et de rencontres de vie. Se croisent la femme médecin argentine, la dame de ménage, Phil le meilleur ami de Greg, Marie l’infirmière.
Malgré les thématiques difficiles comme la maladie, la souffrance, la mort, le libre-arbitre, ce roman ne tombe jamais dans le larmoyant. L’autrice nous décrit les rapports humains avec tellement de délicatesse, de sensibilité, de douceur. C’est un récit lumineux où deux hommes que tout opposent se rencontrent, vont s’apprivoiser et partager des moments que chacun n’oubliera jamais. Le roman de Violaine Bérot apaise nos cœurs.
Amélie Nothomb Tant mieux (Albin Michel)
L’année dernière, Amélie Nothomb ne m’avait vraiment pas convaincue avec son roman L’impossible retour. Elle narrait son retour au Japon, pays d’une enfance heureuse. C’était d’un ennui incommensurable. Cette année, Tant mieux est plutôt une belle surprise. L’autrice y raconte l’histoire d’Adrienne, une petite fille de quatre ans confiée à sa grand-mère maternelle à Gand en 1942, alors que Bruxelles est menacée par les bombardements. Sa grand-mère, bien loin d’être bienveillante, est autoritaire et brutale, jusqu’à lui faire avaler son vomi après un petit-déjeuner forcé de harengs. Dans cette atmosphère étouffante, Adrienne trouve refuge dans un dicton silencieux : « Tant mieux ». Cette simple expression devient, pour elle, un outil de survie psychologique, ravalant sa peur, sa douleur et sa souffrance. Au fil des pages, il apparaît que cette histoire est une fiction librement inspirée de la mère de l’autrice, Astrid Nothomb.
Ce roman se dévore rapidement, avec un soupçon d’humour. Seul bémol, le dernier chapitre où l’autrice rend hommage à sa mère dans une introspection bien trop longue.
Les lectures de Camille de Rive-de-Gier
Le monde est fatigué par Joseph Incardona
GROS COUP DE CŒUR / Aie Aie Aie !! Deuxième gros coup de cœur de cette rentrée littéraire.
Êve est une sirène d’aquarium qui, comme dans le conte, a vu ses jambes sacrifiées. Non pas de son propre choix pour les beaux yeux d’un prince, mais par l’inconscience d’un homme. Depuis, elle ondoie dans les piscines du monde, équipée d’un appendice merveilleux : une queue en silicone de deux mètres de long.
Ce roman est une véritable fable, écrite d’une justesse et d’une poésie qui nous touche en plein cœur. Un réécriture du mythe de la sirène, qui raconte l’histoire d’une femme blessée et reconstruite. On y interroge la morale, la justice, l’écologie...et ce qui reste du rêve de Êve. Ne passez pas à coté de cette merveille !!!
L’homme sous l’orage par Gaëlle Nohant
Première Guerre mondiale. Une nuit d’orage, un déserteur vient se présenter à la porte de Rosalie et sa mère. Cette dernière le connaît bien, fantôme de sa jeunesse, mais refuse de le cacher. Son mari et son fils s’enlisent dans les combats du front, tandis que son ancien ami refuse le combat. Mais c’est sans compter sur sa fille, touché par la détresse de l’homme, qui va l’aider. Entre eux, naît un dialogue qui questionne la moralité, les combats, la guerre, le bien et le mal. Une trêve dans l’effervescence de la guerre.
Un roman qui de primes abords me semblait facile : un fond de Première Guerre mondiale, un artiste déserteur plutôt mûr, une (très) jeune femme rêveuse et amoureuse, une mère inflexible et distante. Mais finalement, on se laisse emporter par ce récit. L’autrice raconte avec justesse la relation naissante, les tourments moraux, la place des femmes lors de ces années sombres. Les personnages sont bien construits (parfois un peu manichéen, mais soit) et proposent un ensemble cohérent qui nous pousse à réfléchir. Enfin, il y a de belles références à l’art dont je salue surtout la mention de Berthe Weill, galeriste d’avant-garde ayant réellement existé, grande oubliée de l’histoire de l’art. Je me suis fait avoir.
Nourrices par Séverine Cressan
Dans ce village, les femmes récemment accouchées vendent leur lait et prennent en garde des enfants de la ville pour subvenir à leurs besoins. Sylvaine fait partie de ces femmes. Les nourrices. Un beau jour, elle recueille de la ville, une enfant de lait. Mais par une nuit de vent, le nourrisson meurt. C’est sans compter sur la Nuit, qui appelle Sylvaine en son cœur, pour lui confier une « enfant de lune ». Elle va alors échanger le nourrisson mort et l’enfant trouvé. Ainsi, sa réputation de nourrice sera sauve. Mais comment grandir quand on ne sait pas d’où l’on vient ?
Un roman sans époque réellement définie. On devine un récit universel, qui raconte toutes les vies. La plume mystérieuse presque mystique de l’autrice conte l’histoire de Sylvaine et de cette petite fille trouvée dans le creux de l’arbre. Les voix s’entremêlent et se répondent, passant du récit de la mère de l’enfant trouvé à travers son journal intime, à celui de Sylvaine. S’oppose celle qui abandonne par nécessité, à celle qui recueille par envie. Un roman merveilleux et poétique, presque un coup de cœur. Presque, car je pense que l’autrice aurait pu aller plus loin dans l’entrelacs des destins. Mais une très très très belle histoire qu’il vous faut lire.
Nous sommes faits d'orages de Marie Charrel
À la mort de sa mère, Sarah, trentenaire islandaise, reçoit un trousseau de clefs et un nom à retrouver : Elora. Cet héritage étonnant va la conduire jusqu’à une maison oubliée en Albanie et a une quête identitaire. Le récit alterne les voix et les époques : des années 70 de la dictature d’Enver Hoxha, en passant par la résistance tiranaise des années 90, jusqu’à 2023. À travers ces fragments de vie, l’autrice narre un récit lumineux de mémoire, d’identité et de transmission, où la brutalité côtoie les légendes anciennes.
Un roman puissant, véritable conte, peuplé de femmes fortes, de secrets de famille et traditions albanaises qui ne vous laisseront pas indifférent. Mon gros coup de cœur de cette rentrée littéraire.
Finistère par Anne Berest
Avec Finistère, Anne Berest délaisse la branche maternelle explorée dans La Carte postale pour se tourner vers l’héritage paternel. Ce nouveau roman se présente comme une vaste fresque familiale, parcourant le XXIe siècle et nous livrant l’histoire de cette Bretagne chère à l’autrice. Cette dernière fait entrer la petite histoire, celle des gestes quotidiens, de la mémoire familiale, des histoires d’amour, dans la grande Histoire.
Néanmoins, alors que La Carte postale captivait par une intrigue presque obsessionnelle autour de cette énigme : qui a bien pu envoyer cette mystérieuse carte postale ? Ici, le récit manque cruellement d’un fil conducteur, d’une intrigue qui donne envie de poursuivre la lecture. C’est, somme toute, un bel hommage à son père ainsi qu’à son arbre généalogique, mais qui manque d’un petit quelque chose, ce "je-ne-sais-quoi"…. Dommage.
La nuit au cœur Par Nathacha Appanah
Ayez le cœur accroché avant de vous embarquer dans ce roman.
Dans ce récit bouleversant, Natacha Appanah retrace les destins de trois femmes en fuite, tentant d’échapper à l’emprise de leurs bourreaux. Trois vies brisées par les violences conjugales, trois voix pour dire l’indicible. Une seule survivra pour témoigner : l’autrice elle-même. Natacha Appanah relève le pari atroce de donner chair aux corps meurtris, aux vies oubliées de ces femmes. Un texte qui est en réalité plus que ça, un documentaire contant l’horreur de ce glissement dans les violences conjugales, l’atrocité du quotidien, la banalisation de la brutalité jusqu’à parfois... la mort. Un texte nécessaire, mais qui exige une boîte de mouchoirs.
En finir avec les jours noirs par Effie Black
Jessica Miller est une jeune londonienne, scientifique, dont le sujet d’étude porte sur le suicide. Peu commun, vous en conviendrez, mais qui lui permet de nourrir une réflexion sur la vie, la mort, la morale, l’immoralité, l’avenir, le passé. Ce texte est le journal intime de Jessie, où elle nous livre ses sentiments et ses émotions sur sa vie quotidienne, mêlés d’un trait d’humour à l’anglaise délicieux. Elle questionne sur la manière dont on peut s’en sortir lorsque l’on vient d’une famille destructrice, bercée d’idées noires et de violences.
Le récit évoque beaucoup de sujets de société (peut-être trop ?) avec une belle plume, mais qui nous laisse tout de même une impression d’inventaire : le rapport des femmes à la nourriture, l’amour, la précarité estudiantine, les violences domestiques, l’homosexualité... Les sujets se suivent et s’enchaînent, sans trop de liant. C’est un ouvrage ancré dans notre époque, il coche toutes les cases d’un roman actuel. Mais, comme on le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions


